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Du cynisme (récit autobiographique)…

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J’ai grandi dans une famille pour laquelle l’idée de la souveraineté était plus qu’une idée : c’était un mode de vie. Mes parents étaient très engagés politiquement, notamment à l’époque du Référendum de 1980. Petite fille, je ne comprenais pas tous les enjeux. J’avais plutôt une vision manichéenne de la situation : les bons étaient les Québécois et les mauvais, les autres.

Au Référendum de 1995, du haut de mes dix-neuf ans, je me suis voulue militante à mon tour. J’ai posé des pancartes, j’ai assisté à des assemblées, j’ai milité auprès de mes collègues étudiants qui semblaient trop peu engagés à mon goût… et j’ai pleuré lors de la défaite.

Peu à peu, l’idée de la souveraineté est devenue moins importante dans ma vie. Les raisons de cette perte d’intérêt sont multiples. La plupart d’entre elles étant plus d’ordre personnel que d’ordre strictement politique, je ne les énumérerai pas. Je retiendrai cependant celle-ci : j’étais dans le processus de devenir une adulte.

Il m’est arrivé de vouloir penser par moi-même. Il m’est arrivé de vouloir me distancer des idées acquises par hérédité et non par réflexion. Il m’est arrivé de vouloir être reconnue pour moi et non pour la fille de mes parents.

J’ai donc quitté le chemin tracé. Je suis sortie de ma zone de confort et j’ai tenté d’analyser tout et son contraire. Dans le but de développer mon esprit critique, j’ai rejeté presque systématiquement tous les réflexes idéologiques qui avaient été miens jusque-là. Cette attitude a eu pour avantage de me faire prendre conscience des a priori qui jalonnaient mes réflexions.

Mais vivre ainsi est épuisant.

Car vivre ainsi, c’est refuser tout confort idéologique. C’est perdre la rassurante stabilité qui permet de faire grandir une idée. Et c’est bâtir son identité sur la négation. On ne se définit plus par quelque chose, mais bien contre quelque chose. On se caractérise par le refus, plutôt que par la découverte. Il est très difficile, avec une telle philosophie, de ne pas être malheureux.

Et j’étais malheureuse.

Les actualités m’agressaient : elle mettaient en relief mon incapacité à tout juger, à tout critiquer. J’ai donc cessé de m’y intéresser. Je me suis en quelque sorte mise en exergue de la société et j’ai cessé de m’impliquer intellectuellement dans les débats publics, sous le prétexte que, de toute façon, les instigateurs de ces débats étaient tous des incompétents. Quel beau mensonge! Quelle belle couverture! J’ai masqué mon incapacité à éternellement jouer mon rôle d’avocat du diable à l’aide de mon appartenance au monde des lettrés, à l’élite intellectuelle. Moi qui me voulais la défenderesse de l’esprit critique et de la vérité, je n’étais en fait qu’une cynique élitiste.

Et j’étais dangereuse.

Il faut en effet se méfier du cynique élitiste. Si les membres de l’élite intellectuelle ne sont pas tous également doués pour la réflexion, ils le sont généralement pour la rhétorique. Ils savent habituellement tourner la réponse à une question d’une manière telle que les autres, les moins lettrés, ne savent pas quoi répondre, et se croient battus. Étant linguiste, spécialisée dans les rapports sociaux relatifs à la langue au Québec, j’ai donc su développer une méthode d’argumentation redoutable qui me permettait de camoufler mon inconfort. Il suffisait alors d’éviter les débats avec ceux qui auraient pu percer mon masque.

Car le cynisme est un masque.

S’il peut parfois permettre de percer les failles dans l’argumentation de certains, il n’est, en soi, rien d’autre que de la démolition. Nombre de cyniques sont passés maîtres dans la démolition des idées. Au point où, parfois, cette démolition devient un réflexe, avec pour résultat que le cynique, qui se prétend critique, n’est plus capable de distinguer une bonne idée d’une mauvaise. Il n’essaie jamais de chercher les points forts d’une idée — quitte à la bonifier —, il s’emploie seulement à en trouver les points faibles. Et des points faibles, toutes les idées en ont.

Mais le cynique n’a pas d’idée à lui. En vérité, il n’ose pas en avoir, de peur de devoir la faire passer dans son propre filtre et d’y trouver, invariablement, des failles. Le réflexe de déconstruction devient alors exacerbé par l’envie : le cynique n’accepte pas que quelqu’un puisse avoir une bonne idée si lui-même n’en a pas. Le cynique, donc, contrairement à ce qu’il peut prétendre, ne fait jamais avancer les choses, ne permet jamais à la société d’évoluer. Il ne fait que systématiquement déconstruire toutes les idées nouvelles.

J’en étais là.

Comme l’idée la plus fortement ancrée en moi avait été celle de la souveraineté, c’est elle que je me suis employée à démolir le plus. Je m’en suis prise aux portes-parole, je m’en suis prise aux méthodes. Et je ne peux pas dire que j’avais complètement tort. Mais je n’ai jamais vraiment réussi à m’en prendre à l’idée même. Je me suis alors retrouvée dans une sorte de limbes idéologiques, ne sachant trop sur quel pied danser, ne sachant trop où aller. Ne pouvant pas me définir fédéraliste, mais ne me permettant plus d’être souverainiste. Me prétendant agnostique politique.

Récemment, une nouvelle amie s’est adressée à moi comme si, d’emblée, j’étais souverainiste. Cela m’a profondément troublée. Car, apparemment, la seule personne que j’avais réussi à leurrer (et encore!) était moi-même. Apparemment, la manière dont je parlais du Québec était une preuve incontestable qu’intrinsèquement, je n’avais pas du tout changé.

Alors, j’ai capitulé.

Et, pendant des jours, la phrase qui m’est revenue en tête était le je reviens chez nous, de Ferland. Car c’était bel et bien un retour au bercail. J’avais enfin levé mes barrières, j’avais enfin accepté. Je me suis soudainement sentie délestée d’un lourd fardeau.

Je suis heureuse d’être sortie du cercle vicieux du cynisme, même si je me sens parfois un peu mal à l’aise : les vieux réflexes critiques mettent souvent en relief le fait que je n’ai pas réponse à tout. Mais je l’accepte. Je n’ai pas la prétention de dire que je sais hors de tout doute que cette idée de la souveraineté est la meilleure. Mais je m’y sens chez moi. Et je peux dire que cette idée est celle qui correspond le mieux à mon cœur. Il est surprenant de voir à quel point, parfois, la tête n’a d’autre choix que de suivre le cœur…


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